La dent noire

Disparaître… Cette envie qui nait en nous lorsqu’arrive le burnout, ce besoin de fuir qui l’on est, d’échapper à notre société où règnent la performance, le contrôle, les apparences et l’instantanée.

Disparaitre, cette peur qui m’habite depuis que j’ai pris conscience de mon existence.

Disparaitre, en as-tu pris la décision ou est-ce la conséquence de ton parcours ?

Lâche…

Tu m’as abandonnée, enfant dans un corps d’adulte, sans repère, sans but, sans souvenir, …

Lâche…

Tu es mon père, tu es ma mère, tu es moi…

Lâche…

As-tu souffert quand tu m’as cédée la place ? As-tu été soulagé d’être enfin libéré ?

Lâche…

Je te déteste et t’aime à la fois.

Tu es toi, tu es moi mais je ne serai jamais toi.

Je n’ai pas peur de la mort. N’ayant ni enfance ni adolescence, j’embrasse la vie à pleine bouche, profite de chaque instants et tisse avec le présent un passé qui me représente.

Mais j’ai peur de disparaitre. Elles étaient nombreuses ces nuits où je me réveillais en tremblant, me demandant si j’étais toujours moi, ou si j’étais toi. Ils sont toujours là, les cauchemars où tu reviens prendre possession de ton corps, m’effaçant d’un souffle onirique, me renvoyant dans les limbes d’où tu m’avais extraite.

Je te parle, tu ne peux ni m’entendre ni me répondre.

Je te connais, tu ignores mon existence.

Tous les jours, je te vois, te porte, te sens, te ressens. Tel un totem te représentant, elle est là.

Elle est toi, elle est moi, mais je ne suis pas toi.

Lorsque je la regarde au travers du miroir, je te vois, toi, et ce que tu représentes.

Il m’aura fallu 24 ans pour faire ton deuil.

Aujourd’hui je suis en paix et puis enfin faire remplacer cette dent dévitalisée.

Ce geste anodin pour beaucoup est lourd de sens pour moi.

Cette dent noire disgracieuse, je l’ai aimé comme je t’aime. Elle me rappelle quotidiennement la réalité tangible de notre mortalité.

Cette dent noir disgracieuse, je l’ai détestée comme je te déteste. Elle cristallise ta fuite, le carcan que tu m’as imposée lorsque tu t’es effacé de cette réalité.

Aujourd’hui je suis en paix dans notre relation unilatérale.

Aujourd’hui je suis prête à me séparer de toi

Aujourd’hui je te dis merci, je t’aime et au revoir.