Je ne sais pas lire

J’avais écrit ce texte il y a quelques années. La génialissime Lia_404 m’avait aidé à le relire et le corriger.

Je ne sais pas lire.
Chacune de mes tentatives de déchiffrement aboutit à cette conclusion : je ne sais pas lire. Sur les
pages blanches, devant mes yeux ahuris, les mots caracolent, dégringolent et s’étiolent, vides de
sens, de substance et de raison. Mon regard s’égare sur les plaines de papier striées de symboles
ramassés en grappes séparées de respirations et encloses par la ponctuation. Ces chapelets de
lettres, cohérents pour d’autres, n’égrainent en moi ni passion ni émoi. Décidément, je ne sais pas
lire. Cette vérité est mise à mal par mes proches et accointances, qui, par observation et
méconnaissance, déclameront aux oreilles inquisitrices l’exact inverse. Ils me tiennent pour une
glouton lettré versé dans les arcanes du verbe, un pantagruel de la prose, jamais rassasié, qui dévore
chaque semaine plus que sa part d’écrits. Ils affirmeront, et se tromperont car … je ne sais pas lire. Il
y a longtemps que j’ai cessé d’essayer de dompter cet art. Je promène mon regard ignare de pages
en pages, sans m’attarder sur les caractères qui les noircissent. Du coin de l’œil, je perçois tout
d’abord un rythme, une mélopée, pulsation primordiale qui tisse la toile du récit. En catimini, les
couleurs s’invitent, glissent sur l’onde et se figent en scènes et paysages. Les odeurs, le goût et autres
sensations tactiles surviennent au détour de la syntaxe. Initié par la danse de mon regard sur les
moutons de bas-de-casse, surgissant des mugissements de la ponctuation, le mouvement, enfin,
survient pour compléter l’ensemble du glacis du vivant.
Assurément, je ne sais pas lire. Je ne sais que vivre

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